mardi 10 juillet 2018

Les Yeux des pauvres (procédés narratifs)

LES YEUX DES PAUVRES


Ah ! vous voulez savoir pourquoi je vous hais aujourd’hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu’à moi de vous l’expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d’imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.
Nous avions passé ensemble une longue journée qui m’avait paru courte. Nous nous étions bien promis que toutes nos pensées nous seraient communes à l’un et à l’autre, et que nos deux âmes désormais n’en feraient plus qu’une ; — un rêve qui n’a rien d’original, après tout, si ce n’est que, rêvé par tous les hommes, il n’a été réalisé par aucun.
Le soir, un peu fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin d’un boulevard neuf, encore tout plein de gravois (1) et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées. Le café étincelait. Le gaz lui-même y déployait toute l’ardeur d’un début, et éclairait de toutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors des baguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies traînés par les chiens en laisse, les dames riant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tête des fruits, des pâtés et du gibier, les Hébés (2) et les Ganymèdes (3) présentant à bras tendu la petite amphore (4) à bavaroises (5) ou l’obélisque bicolore des glaces panachées ; toute l’histoire et toute la mythologie mises au service de la goinfrerie.
Droit devant nous, sur la chaussée, était planté un brave homme d’une quarantaine d’années, au visage fatigué, à la barbe grisonnante, tenant d’une main un petit garçon et portant sur l’autre bras un petit être trop faible pour marcher. Il remplissait l’office de bonne et faisait prendre à ses enfants l’air du soir. Tous en guenilles. Ces trois visages étaient extraordinairement sérieux, et ces six yeux contemplaient fixement le café nouveau avec une admiration égale, mais nuancée diversement par l’âge.
Les yeux du père disaient : « Que c’est beau ! que c’est beau ! on dirait que tout l’or du pauvre monde est venu se porter sur ces murs. » — Les yeux du petit garçon : « Que c’est beau ! que c’est beau ! mais c’est une maison où peuvent seuls entrer les gens qui ne sont pas comme nous. » — Quant aux yeux du plus petit, ils étaient trop fascinés pour exprimer autre chose qu’une joie stupide et profonde.
Les chansonniers disent que le plaisir rend l’âme bonne et amollit le cœur. La chanson avait raison ce soir-là, relativement à moi. Non-seulement j’étais attendri par cette famille d’yeux, mais je me sentais un peu honteux de nos verres et de nos carafes, plus grands que notre soif. Je tournais mes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée ; je plongeais dans vos yeux si beaux et si bizarrement doux, dans vos yeux verts, habités par le Caprice et inspirés par la Lune, quand vous me dites : « Ces gens-là me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portes cochères ! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d’ici ? »
Tant il est difficile de s’entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s’aiment !

1. Gravois : débris de construction ou de démolition.
2. Hébé : déesse de la jeunesse.
3. Ganymède : échanson (serviteur chargé de servir à boire) de Zeus (Jupiter). 
4. Bavaroise : boisson. 

Baudelaire, "Les yeux des pauvres", Le Spleen de Paris

Répondez aux questions suivantes en justifiant vos réponses : 

1) Ce récit comporte-t-il une scène, une description, un sommaire, une ellipse ? 
2) Trouve-t-on des indices d'énonciation ? Si oui, lesquels ?
3) Y a-t-il du monologue intérieur et du dialogue ? Si oui, dans quel style sont-ils rapportés ? 
4) Le narrateur est-il présent ou absent (dans l'histoire et/ou dans le texte) ?
5) Quel est le point de vue ?

dimanche 8 juillet 2018

Un poème de Michaux


LA SIMPLICITÉ


Ce qui a manqué surtout à ma vie jusqu’à présent, c’est la simplicité. Je commence à changer petit à petit.
Par exemple, maintenant, je sors toujours avec mon lit, et quand une femme me plaît, je la prends et couche avec aussitôt.
Si ses oreilles sont laides et grandes ou son nez, je les lui enlève avec ses vêtements et les mets sous le lit, qu’elle retrouve en partant ; je ne garde que ce qui me plaît.
Si ses dessous gagneraient à être changés, je les change aussitôt. Ce sera mon cadeau. Si cependant je vois une autre femme plus plaisante qui passe, je m’excuse auprès de la première et la fais disparaître immédiatement.
Des personnes qui me connaissent prétendent que je ne suis pas capable de faire ce que je dis là, que je n’ai pas assez de tempérament. Je le croyais aussi, mais cela venait de ce que je ne faisais pas tout comme il me plaisait. 
Maintenant j’ai toujours de bonnes après-midi. (Le matin, je travaille.)

Henri Michaux, La Nuit remue



1) Quel effet vous fait ce poème?

2) A votre avis, pourquoi ce poème vous fait-il cet effet?

3) Que nous dit ce poème à propos du désir en général?

4) Quels sont les registres de ce poème? 

5) Pourquoi le poème porte-t-il ce titre?

mercredi 4 juillet 2018

exercice d'argumentation

Faut-il faire des enfants ?

Cherchez des arguments pour répondre oui puis pour répondre non. 
Attention : un argument est une proposition simple ou un raisonnement.
Exemple de proposition simple : Avoir des enfants est un bonheur.
Exemple de raisonnement : Mes parents ont fait des enfants, or je dois faire comme mes parents, donc je dois faire des enfants.