[Le
coup d’État du 2 décembre 1851, organisé par Louis-Napoléon Bonaparte,
a suscité en Provence des insurrections républicaines, notamment dans
le département du Var. C’est cette révolte que décrit Zola au début de
La Fortune des Rougon.]
La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus
terriblement grandiose que l’irruption de ces quelques milliers
d’hommes dans la paix morte et glacée de l’horizon. La route, devenue
torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir
s’épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles
masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix
de cette tempête humaine. Quand les derniers
bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant.
La Marseillaise
emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de
monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses
de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie
s’éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu’un tambour
que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu’aux entrailles,
répétant par tous ses échos les notes ardentes
du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ;
des bouts de l’horizon, des rochers lointains, des pièces de terre
labourées, des prairies, des bouquets d’arbres, des moindres
broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large
amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque
sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, étaient comme
couverts par un peuple invisible et
innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne1,
le long des eaux rayées de mystérieux reflets d’étain fondu, il n’y
avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent
reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans
l’ébranlement de l’air et du sol, criait vengeance et liberté. Tant que
la petite armée descendit la côte, le rugissement populaire roula ainsi
par ondes sonores
traversées de brusques éclats, secouant jusqu’aux pierres du chemin.
1. Rivière qui coule près de la ville de Plassans.
Axes :
1) Comment est perçue la foule révolutionnaire ?
2) Comment l'auteur donne-t-il une tonalité à la fois fantastique et épique à cette scène ?
Questions
préparatoires :
1)
Quels sont les temps ? Pourquoi ?
2)
Ce passage est-il une scène ou une description ?
3)
Quels sont les mots qui permettent de définir le cadre spatial ?
Et le cadre temporel ?
4)
Trouvez des personnifications. Expliquez-les. (Qu'est-ce qui est
personnifié ? Quel est le mot qui personnifie ? Pourquoi
cette personnification?)
5)
Trouvez des métaphores. Expliquez-les.
6)
Trouvez des comparaisons. Expliquez-les.
7)
Trouvez des hyperboles. Expliquez-les.
8)
Quels sont les registres (tonalités) ? Justifiez.
9)
Le regard sur la foule est-il fixe ou non ? Le cadre est-il fixe
ou non ?