mardi 26 juin 2018

Structure d'une histoire 1

Voici une nouvelle écrite par un de mes élèves. Lisez-la.


TERMINUS

         Marco Polak est un conducteur du RER C. Dans le métier, c’est simple, il est surnommé le Salaud. Il est vrai que Marco aime profiter pleinement de toutes les possibilités que lui offre son tableau de bord. Le coup préféré de Marco c’est de refermer les portes de son bolide sur ses clients, de préférence les enfants, les personnes âgées et bien sûr, les poussettes. Il est très fort pour ça, il tient d’ailleurs un cahier où il note le nombre de ses victimes. Sinon, le Salaud aime bien rouler très lentement pour les personnes pressées ou rouler très vite et freiner très brusquement pour les personnes cardiaques. Il est même déjà arrivé à Marco de sauter des stations en montrant son cul aux personnes qui avaient la bouche grande ouverte. Bref Marco était bien un salaud mais c’était, hélas, la seule revanche qu’il pouvait avoir sur la vie. Petit, Marco voulait devenir pilote d’une navette spatiale comme bon nombre d’enfants. C’est d’ailleurs à cette vie de succès que Marco se met à rêver lorsque l’obscurité des tunnels envahit sa cabine. Marco, derrière les apparences est un grand sentimental prêt à donner beaucoup plus d’amour que quiconque. Mais voila, le Salaud  n’avait rien pour lui. Oui, Marco Polak était désespérément laid. Il avait de tout petits yeux avec un contour marqué par des veines violettes, un nez aquilin cassé et tordu. Sa bouche renfermait un champ de bataille avec l’odeur des cadavres. Et la cerise sur le gâteau c’était son grain de beauté sur la joue. Un grain de beauté qui recouvrait près des trois quarts de sa pommette droite. De plus le Salaud n’était en rien sportif, il ne comprenait pas le principe du footing ou autres exercices. Et pourtant Marco croyait toujours à l’amour et gardait espoir. En fait il y avait cette fille qui prenait tous les soirs de la semaine le dernier RER. C’était le petit plaisir de Marco. Pas une fois, elle n’avait été absente en sept années. Cette inconnue était une déesse pour le Salaud. Elle était blonde avec de grands yeux bleus. Une bouche impeccablement dessinée et un nez qui pouvait rivaliser avec les sept merveilles du monde. Sa silhouette se distinguait parmi les autres ; une belle poitrine souvent mise en évidence et une taille de guêpe. Ces fesses ressemblaient à une belle vague en bas de ce dos si calme. L’opposé féminin de Marco en somme. Mais voilà, à chaque arrivée en gare, le Salaud accrochait le regard de cette belle blonde, et elle, elle ne décrochait pas. Lui plaisait-elle ? Il n’en savait rien, mais il ressentait beaucoup de choses lorsque leurs deux regards se croisaient.
         Le soir du 11 Janvier, il neigeait beaucoup et Marco était inquiet. C’était la première fois que cette jeune femme n’était pas sur le quai de la Fraternelle. Il se faisait un millier de films, il s’imaginait ne plus jamais la revoir. Depuis combien de temps n’avait-il pas pleuré ? Il ne le savait pas. Cela faisait dix minutes qu’il était en gare espérant la voir accourir. Il se promit que si elle arrivait, il irait lui parler ou même mieux il lui déclarererait sa flamme au micro, entre deux stations. Mais voilà, elle n’arrivait pas. Il se décida à remettre sa machine en route. Il lança le signal sonore des fermetures des portes qui résonna dans le vide de sa tête. Il démarra lentement, la neige tombait de plus en plus fort, il était tout glacé. Il atteignait des records de lenteur lorsqu’une personne se jeta brusquement sur les quais. Marco n’avait qu’une envie : l’écraser et entendre le craquement de ses os sous ses roues. Mais le Salaud reconnut, sur ce fond blanc, la silhouette qu’il aurait pu deviner parmi mille autres. Oui c’était elle, sa déesse était là, devant lui. Un sourire se dessina sur son visage lorsqu’il actionna les freins d’urgence. Le train s’arrêta à quelques centimètres d’elle, il avait joué un peu avec la poignée pour ne pas s’arrêter trop loin. Son bonheur était intense, il venait de ressusciter en une fraction de seconde ! Il sauta du train et s’enfonça dans la neige. Il faisait froid mais cette fois-ci il avait chaud. La neige était de plus en plus dense, son bonheur aussi. En s’approchant d’elle, il voyait qu’elle était gelée. Il lui posa son gilet sur les épaules ; comme il était fier ! Le Salaud l’invita dans sa cabine.
         Il avait enfin la femme de ses rêves à ses côtés. Elle pleurait, son nez coulait et elle était tout essoufflée. Marco n’osa prononcer aucun mot, il ne voulait pas casser ce silence si éloquent à ses yeux. Il remit le train en route et partit vers Paris avec sa belle. Il savait qu’elle descendait à St-Michel mais pensait qu’elle resterait avec lui jusqu’au terminus. Ce fut elle qui brisa le silence avec une voix d’or. Elle le remercia tout d’abord et lui dit qu’elle savait qu’il se serait arrêté à temps. Marco, flatté, lui répondit d’une voix grasse qu’il pensait bien qu’un jour leurs deux chemins ne feraient plus qu’un. Son haleine réchauffa la cabine mais ça n’avait pas l’air de déranger sa passagère. Elle se présenta  : elle s’appelait Marie, le Salaud fit de même. Ils engagèrent une longue conversation, du moins un grand monologue. Marco était sûr de lui, il lui raconta qu’il l’avait remarquée il y a sept ans déjà et lui avoua qu’elle était son petit plaisir de fin de service. Il crut même la voir rougir. Marie lui paraissait extrêmement réservée mais il était sûr qu’elle partageait ses sentiments, cette boule d’amour. Et puis cela se voyait, elle avalait ses paroles ! Marco était aux anges, il avait eu raison de garder espoir. Le temps passait à vive allure malgré ce RER qui avançait à une vitesse de paresseux. Il voyait Saint Michel et ses quais noirs de monde se rapprocher. Le Salaud avait déjà préparé sa phrase. Il lui demanderait si elle était prête à continuer ce chemin avec lui, à aller au bout de la ligne. Il savait que c’était imparable ; qu’elle accepterait. Mais Marie prit la parole avant lui : « T’es vraiment un putain de psychopathe. Ce train fallait pas que je le rate c’est tout. Va te faire soigner ! » Et elle sauta de la cabine avec une si grande élégance. On pense souvent savoir mais la réalité des choses est bien loin. En tout cas, ces quelques mots eurent l’effet d’une stalactite qu’on lui aurait planté au beau milieu du cœur. Marco était complètement assommé, humilié ! Il se mit à saigner du nez. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Le vide total, il voyait flou et ne bougeait pas. Il eut des gestes nerveux et dans une pulsion, sans fermer les portes, démarra le bolide en poussant les manettes de vitesse à fond. Sur les quais, des personnes râlaient car elles venaient de rater le dernier RER.
         Marco regardait droit devant, aucun de ses membres ne bougeait, il était déjà mort. Son train fonçait à travers les tunnels profonds de Paris à une vitesse qui ne cessait d’augmenter. A chaque virage le train manquait de peu de dérailler mais c’était bien le dernier des soucis de ce salaud. Les stations défilaient, le train ne s’arrêtait pas - sûrement pas. A l’intérieur des wagons, c’était la panique. Pas la peine de tirer la poignée d’arrêt d’urgence, Marco avait tout débranché. Il venait de dépasser la station Viroflay Rive Gauche et le train avait atteint ses limites de vitesse, un miracle qu’il tînt encore sur les rails. Marco était toujours stoïque, cette vitesse lui faisait du bien ; pour une fois, il s’amusait. Il entendait derrière lui des coups dans la porte, des personnes criaient, le suppliant de s’arrêter. Il se mit à rire, il venait de passer Porchefontaine et il ne restait plus qu’une station avant le terminus. Il repensait à tous ces moments de solitude vécus dans cette cabine à rendre service à ces personnes qui faisaient la gueule sur le quai parce qu’il avait deux, trois minutes de retard. Il en avait mangé, le Salaud, des regards assassins. Vous voulez que je ralentisse, pensait-il, il faut savoir ! Dernier virage avant la ligne droite qui les emmenait à Versailles Rive Gauche, leur terminus. Marco voyait le mur qui se rapprochait à grande vitesse. Il trouvait ça très noble de mourir là où tant de rois avaient écrit l’Histoire de France. C’était à son tour de prendre la plume. Il n’eut pas un seul clignement de cil avant l’impact entre la gare et le train.
         Le lendemain matin, les pompiers continuaient encore de sortir les corps des débris de ce qui avait été un train. Dans le premier journal du matin, on dénombrait six cent trente-deux morts dont au moins une centaine d’enfants, un bon score pour le Salaud. On parlait d’un attentat. Ses collègues furent questionnés, et il en ressortit simplement que Marco était quelqu’un d’associable et grincheux mais qu’il n’aurait jamais pu faire un tel acte. Des témoignages parlèrent d’un bruit qui rendit complètement sourd pendant près de deux minutes. Des personnes avaient vu une énorme boule de feu et avait même pensé à une bombe atomique. Il est vrai que le choc fut d’une violence inouïe. Les journaux ne parlèrent pas de Sophie qui avaient pressé ses enfants pour ne pas rater ce train et retrouver son mari qui revenait des îles pour prendre sa retraite militaire. Sophie eut à peine le temps de se jeter sur ses enfants pour les protéger de la boule de feu mais rien à faire, le feu ne connaît pas l’amour et de toute façon, l’amour tue. Marie se suicida deux jours plus tard.

Délimitez trois actes dans cette histoire :
1. Situation initiale et événement déclencheur qui donne un enjeu au héros.
2. Progression du héros vers son but, jusqu'à la crise.
3. Résolution de la crise et dénouement.  





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